« Les périodes de crise sans précédent offrent des opportunités d’action sans précédent » (Par Graça Machel, Ngozi Okonjo-Iweala, Vera Songwe, Maria Ramos)

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L’occasion nous est offerte de repenser et redéfinir notre société pour la rendre dynamique et équitable
JOHANNESBURG, Afrique du Sud, 18 juin 2020/ — Par Graça Machel, Ngozi Okonjo-Iweala, Vera Songwe, Maria Ramos

La COVID-19 a révélé l’existence d’inégalités profondes au sein de nos sociétés et mis en lumière les lourdes charges qui pèsent sur les femmes dans le monde entier. C’est pourquoi les ressources en réponse à la crise doivent être affectées en priorité aux besoins immédiats de gestion du virus et, simultanément, au démantèlement des barrières structurelles et systémiques qui aggravent les inégalités et la privation des droits. L’occasion nous est offerte de repenser et redéfinir notre société pour la rendre dynamique et équitable. Nous devons placer les femmes et leur leadership au cœur de la riposte.

En Afrique, les chocs de grande ampleur provoqués par la pandémie de COVID-19 ont frappé aussi bien les économies informelles que formelles. La Banque mondiale estime que l’Afrique subsaharienne connaîtra cette année un important recul économique pouvant atteindre -5,1%.

Les femmes ont été particulièrement touchées par ce ralentissement. Des données de l’OIT sur l’impact de la COVID-19 suggèrent que les activités économiques et productives des femmes seront affectées de manière disproportionnée. En outre, elles ont moins accès aux filets de protection sociaux et leur capacité à absorber les chocs économiques est très faible.

Plus l’impact économique de la crise se fera sentir, plus le risque de mariage forcé et précoce des filles augmentera, de même que le nombre de mariages d’enfants et de grossesses précoces, à mesure que les filles deviendront une source de revenu immédiat pour les familles.

La société tout entière est touchée par la crise ; dès lors, on ne peut que s’attendre à ce que les systèmes de production alimentaire soient durement impactés, d’où une exacerbation aiguë de l’insécurité alimentaire et un quasi doublement des niveaux actuels de famine généralisée.

La COVID-19 perturbe les chaînes d’approvisionnement et bouleverse l’économie alimentaire mondiale. L’offre étant limitée en raison de la fermeture des frontières, des arrêts de production et des restrictions à l’exportation, la demande explose, faisant grimper les prix et affectant les populations les plus pauvres et les plus marginalisées, partout dans le monde. L’Afrique n’échappe pas à cette logique désastreuse.

Actrices centrales de la chaîne alimentaire, les femmes jouent un rôle essentiel dans la production agricole du continent : 50% de l’activité agricole en Afrique est assurée par les femmes, qui produisent environ 60 à 70% de la nourriture en Afrique subsaharienne.

Des études révèlent que le coût de la malnutrition a un impact énorme sur la croissance économique d’un pays. Les carences alimentaires contribuent aux niveaux intolérablement élevés de mortalité maternelle et infantile et de retard de croissance – donc à une perte de capital humain qui fera globalement défaut au développement économique, social et politique du continent.

La crise a révélé la fragilité des systèmes de santé africains, et les femmes et les enfants sont les plus vulnérables face au manque d’attention et de services spécialisés adéquats – réquisitionnés pour gérer la COVID-19 – d’où une augmentation prévisible de la mortalité infantile et maternelle.

À la suite du confinement, la violence domestique s’est accrue de 25% dans certains pays. Et pendant les périodes de quarantaine, les victimes sont privées d’accès aux services de protection.

Nous lançons un appel en faveur d’une action énergique : Toutes les réponses à la crise doivent tenir compte des impacts sexospécifiques de la COVID-19 et être éclairées par la voix des femmes : les femmes et les organisations de femmes doivent être au cœur de la prise de décision en matière de réponse à la crise et de l’élaboration des politiques et plans sanitaires et socio-économiques. Il est essentiel de mettre clairement l’accent sur la vie et l’avenir des femmes et des filles afin de briser les pratiques structurelles qui les ont marginalisées. Un système de collecte et de ventilation des données doit être mis en place de sorte à garantir que l’impact de la crise sur les femmes encourage la transformation de systèmes socio-économiques et sanitaires fragiles et inéquitables en systèmes de santé pleinement inclusifs et équitables.Le gouvernement et les partenaires du développement doivent mettre en œuvre des politiques économiques axées sur la parité hommes-femmes et renforcer les capacités des femmes en tant que moteurs de la croissance économique : il faut accorder aux femmes et aux filles un accès direct au crédit, aux prêts, aux reports et exonérations de paiements d’impôts et de cotisations sociales, ainsi qu’aux approvisionnements préférentiels. Les obstacles structurels à l’accès au financement, à l’héritage et aux droits fonciers doivent être éliminés. Un environnement propice aux infrastructures TIC doit être créé et soutenu afin que les femmes des zones rurales et urbaines puissent contribuer à l’économie numérique et accéder aux plateformes en ligne pour faciliter le commerce électronique et la santé/l’éducation/les échanges sociaux en ligne.Investir dans les femmes tout au long des chaînes alimentaires locales pour améliorer la sécurité alimentaire : les ressources de la riposte à la crise doivent cibler les femmes des TPPME et les associations de femmes rurales pour accroître la productivité des économies formelles et informelles et éradiquer la faim et la malnutrition. Il faut stimuler la production alimentaire locale et s’attaquer de front à l’indignité d’une Afrique qui doit importer sa nourriture. Si l’on veut édifier des sociétés saines, il est fondamental d’investir dans la sécurité alimentaire.Reconnaître et mettre en œuvre l’égalité des droits sur le lieu de travail : le principe « à travail égal, salaire égal » doit être appliqué.Combler les écarts éducatifs fondés sur le genre : une infrastructure TIC doit être construite aux fins de l’apprentissage en ligne afin de combler le fossé des inégalités ; les enseignants doivent être formés aux programmes d’études virtuels pour que tous les enfants africains, surtout les filles, aient accès à une éducation de qualité. Des efforts sont également nécessaires pour protéger les filles contre le mariage des enfants et les grossesses précoces. Des filets de sécurité sociaux et des aides financières aux ménages doivent être déployés afin que les les filles continuent leur scolarité.Renforcer les systèmes de santé, instituer progressivement une couverture santé universelle (CSU) et mettre en place des services de santé mentale, en tant que stratégies essentielles pour l’amélioration des systèmes de santé et du bien-être des citoyens.Renforcer globalement les systèmes de justice pénale et accroître les efforts en faveur du soutien et de la protection des survivants : les efforts de prévention et de protection doivent être considérés comme des services essentiels ; tous les médias doivent contribuer volontairement et activement aux efforts visant à provoquer un changement fondamental de mentalité selon lequel la violence fondée sur le genre sera rejetée et jugée socialement inacceptable et intolérable.La crise de la COVID-19 nous offre une opportunité sans précédent de régénération du paysage socio-économique africain et d’élan vers un continent juste, équitable et durablement prospère. Saisissons cette opportunité de renouveau et ne permettons pas qu’elle soit gâchée !

Signé

Graça Machel
Fondatrice du Graça Machel Trust et de la Foundation for Community Development

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